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Par berenice.la.ballade le 14 Janvier 2021 à 09:50
Suite et fin du Le PEUPLE des HALLES
À cinq heures du matin, l’arrivée des routiers mettait les Halles en « état de siège ». Au lever du jour le marché s’achevait.Tout un petit peuple venait s’approvisionner puis laissait place aux camions des éboueurs, aux voitures de nettoiement et aux balayeurs.
Les Halles étaient le territoire vers lequel convergeait, tout au long de la nuit, les charrettes des maraîchers, les livraisons de viande acheminées depuis les gares, les camions des routiers et les guimbardes des maraîchers. Elles étaient au centre d’une circulation, d’un mouvement incessant et concurrentiel.
L’ensemble des marchandises devait être livré, traité, et vendu avant le matin.
La nuit était l’unité de temps du marché. On savait qu’au matin, Paris allait exiger place nette. Les livraisons des marchandises périssables devaient être faites le plus rapidement possible, au meilleur endroit, de sorte qu’elles soient vendues au meilleur prix. Il y avait donc concurrence pour avoir des « bonnes places ».Grattage d’une tête de cochon - Photo Paul Géniaux
Pour le pavillon de la vente au détail, de la charcuterie et de la triperie, c’est au sous-sol, à partir de 2h du matin, que les ouvriers s’occupaient spécialement des têtes de moutons ou d’autres animaux. Le fraisier découpait la langue et les joues vendues aux charcutiers, puis le cabocheur brisait les têtes pour récupérer la cervelle vendue aux tripiers.
Le Marché des fromages mous
Le marché en gros des beurres, œufs et fromages était réparti sur deux pavillons. Le n°10 était consacré uniquement à la vente en gros des beurres et œufs ; le pavillon n°12 accueillait surtout les fromages et la vente au détail des beurres, œufs, fromage ainsi que la vente en gros des huîtres.
Les fromages frais ne s’acquittaient d’aucun droit d’octroi, tandis que les fromages secs étaient assujettis à la taxe. Il était également défendu de vendre à la coupe les fromages de Brie et les fromages frais. Ceux à pâte molle étaient vendus par colis (caisse), et le prix était établi par dizaine pour les fromages de Brie et de Montlhéry, par centaine pour les fromages de Livarot et du Mont-Dore, par 10 kg pour les fromages de Munster, Port-Salut… Les fromages secs comme le parmesan étaient vendus à la pièce.Les conditions de travail y étaient physiquement très éprouvantes. Le bruit était permanent. Les porteurs travaillaient parfois encore à soixante-dix ans. Les travailleurs des Halles ne dormaient que très peu la nuit. Certains ne tenaient qu’avec de l’alcool et des amphétamines.
« Les Halles, c’était aussi une manière de vivre ! »
Les Halles représentaient pour tous une possibilité de trouver du travail. Elles représentaient aussi une possibilité de vivre en marge, dans un monde, celui de la nuit, qui ne partageait pas toutes les normes du reste de la société. Ainsi, la possibilité de l’anonymat était-elle respectée pour les anciens repris de justice car il était de tradition, aux Halles, de ne pas poser de question sur le passé des gens. Aux Halles, la pratique des surnoms permettait à ceux qui étaient « mal vus », « emmerdés par la police » de vivre sans être inquiétés. S’il était parfois mal vu de travailler aux Halles, c’est parce que certains y cachaient des itinéraires douteux. Ceci concernait en particulier les « porteurs » qui étaient des travailleurs indépendants.
Certains étaient ici depuis 30 ou 50 ans. Parfois ils y étaient nés, sans doute entre les choux et les roses.
Plus ancienne était la date d’arrivée, plus grands étaient la fierté et le sentiment d’appartenance.Les forts avaient une fonction d’organisation du déchargement. Avant l’arrivée des « approvisionneurs », ils délimitent des surfaces de sol à la craie. Il n’y avait pas de place attitrée. La chaussée devenait ainsi le « Carreau ». On prenait le « métrage », et chaque mètre carré de sol avait ainsi son prix, devenant une surface de vente où les marchands déposaient leurs étalages de fruits et de légumes. Chaque nuit, les forts embauchaient des travailleurs comme « renforts » pour décharger les marchandises.
Les manutentions se faisaient donc sous la surveillance des forts des halles.
Les forts faisaient placer les voitures, percevaient les taxes et les "mètres". Ils déchargeaient les colis et les marchandises en provenance du chemin de fer. En réalité les forts regardaient travailler leurs "renforts" , souvent clochards, qu'ils avaient recrutés le temps d'une nuit.
Les forts devaient aussi dresser les "tas" de denrées, là aussi ils se faisaient "aider" par des "tasseurs". Seuls les forts avaient le droit de sortir des marchandises des pavillons, toujours aidés par des auxiliaires.Le marché déborde largement des pavillons et s'étend sur les trottoirs de toutes les rues environnantes - le carreau forain - et dans les boutiques des commissionnaires.
Dès 11 heures du soir on se prépare, la vente commence généralement vers 4 heures du matin. Il y a la vente à l'amiable et la vente à la criée.
La vente au détail succède à la vente en gros dans la matinée. Les clients arrivaient entre 4h et 10h (horaires d’été) pour les transactions qui débutaient à la cloche pour la vente à l’amiable, et à la criée. Les légumes étaient vendus en premier, puis les viandes, les plantes, les primeurs et les fleurs, le cresson et la marée.
La vente sur le carreau commençait vers 8h pour les cultivateurs et approvisionneurs puis vers 10h pour les marchandes de légumes au petit tas. L’animation est à son comble vers les 2h du matin.
Marchandes de soupe ou de café, balayeurs, participaient à cette effervescence.
Dans les caves, se trouvait aussi un monde parallèle : lotisseurs-gaveurs, cabocheurs, pétrisseurs de beurres, mûrisseurs de bananes, ou compteurs mireurs d’œufs…
Le Carreau des Halles
La superficie des pavillons restait insuffisante. Aussi, perpétuant un mode de fonctionnement en cours depuis le Moyen Âge, la vente officielle s’installait sur les trottoirs des rues alentour et sur les voies couvertes des pavillons avec un marquage au sol précis et réglementé : c’était le carreau des Halles, ouvert tous les jours de 3h à 8h (horaires d’été).
Des emplacements y étaient notifiés et des taxes perçues par les agents de la préfecture de la Seine. La superficie du carreau variait suivant les saisons ; il était plus étendu au printemps et en été.
Le carreau était décrit comme « l’annexe de la vente en gros des fruits et légumes et des produits du jardinage ». Il comprenait toutes les ventes en plein air des jardiniers-maraîchers, cultivateurs des environs de Paris ainsi que celles des horticulteurs-fleuristes.
S’y ajoutaient les approvisionneurs apportant des marchandises dont ils étaient propriétaires (fleurs, fruits et légumes du midi et du centre de la France).
Une équipe de forts chargeait jusqu’à 1000 ou 2000 bœufs par nuit.
Certains de ces hommes pesaient jusqu’à 140 kilos, et mangeaient d’énormes quantités de nourriture dans les bistrots alentours.
« J’ai vu manger une calotte de tripes de trois kilos. Un autre pouvait manger jusqu’à cent huîtres en salade », racontait au début des années 1970 un ancien bistrotier.
Ils avaient également souvent soif ...
Le « ventre de Paris » était un monde à l’identité affirmée. L’un de ses plus vieux quartiers a nourri la Capitale pendant dix siècles.
Cette « ville dans la ville » était une agglomération de métiers, que l’on ne trouvait parfois qu’ici. On peut citer par exemple les Forts des Halles, les Tasseurs, les Gardeuses, les Cabocheurs, les Portefaix, ou les Verseurs de poissons.
L’histoire de ce Peuple des Halles a pris fin en 1969, avec le déménagement de ses activités à Rungis ou à la Villette. Ce départ a entrainé la mort de tout un tissu économique qui gravitait autour de l’activité, principalement nocturne, des Halles de Paris.Les conditions de travail y étaient physiquement très éprouvantes. Le bruit était permanent. Les porteurs travaillaient parfois encore à soixante-dix ans. Les travailleurs des Halles ne dormaient que très peu la nuit. Certains ne tenaient qu’avec de l’alcool et des amphétamines.
Merci de votre passage, bonne journée à vous tous ....
9 commentaires -
Par berenice.la.ballade le 13 Janvier 2021 à 08:21
Suite Le PEUPLE des HALLESLes glaneurs devant Saint-Eustache 1968
La vie du Carreau était soumise aux contraintes des produits périssables.
Il existait ce que l’on appelait « le trou ». C’était l’endroit où l’on jetait les marchandises (en particulier le poisson) que l’on ne pouvait plus consommer. C’était un véritable instrument de régulation. « On a déversé, en 1968, 943 tonnes de poisson selon les informations de la Préfecture de la Seine ». Mais on jetait aussi dans le trou des marchandises non avariées, afin de maintenir les prix.
Sur le Carreau, à la fin du marché, on trouvait les "glaneurs", qui venaient faire leurs courses avec les invendus.
Rue du Cygne - Photo Martha Carroll 1968
Le dernier marché et le départ pour Rungis, le 28 février 1969, a représenté une fin radicale.
18 000 personnes travaillaient aux Halles. Toutes ne furent pas réembauchées. Beaucoup, qui avaient travaillé trente ou cinquante ans, ne trouvèrent pas leur place à Rungis dans un nouveau lieu plus moderne, plus mécanisé, où avaient disparu un certain nombre de tâches.
Quant aux commerces autour des Halles, beaucoup se retrouvèrent sans d'activité.
Plus de location de diables, de ventes d'emballage, plus de commissionnaires de ventes en gros, et surtout presque plus de clients dans les bistrots alentours.
Le pavillon de la Marée 1968Après l’arrivée de la viande, les deux pavillons de la marée entraient à leur tour en activité, une heure après l’ouverture du Carreau. Les pavillons de la marée étaient le domaine des «Dames de la Halle». Elles aussi alimentaient une légende. La viande était le domaine des Hommes, le poisson était le leur.
Le marché de la vente en gros de la marée était le plus ancien de Paris, et avait lieu dans le pavillon n°9 depuis 1857. À partir des années 1930, des installations frigorifiques y furent construites avec des entrepôts réservés au poisson congelé.Les Halles étaient aussi une solution pour tous ceux dont le salaire n’était pas suffisant et offraient un deuxième emploi, non déclaré, la nuit à des employés des chemins de fer, des cantonniers, des ouvriers.
En 1969, la situation semblait avoir évolué et ces emplois étaient souvent occupés par des étudiants qui avaient besoin d’argent pour poursuivre leurs études.
Pavillon de la viande 1968
Les pavillons de la viande étaient dominés par les des mandataires et des forts. Sortes de patrons des lieux, les « mandataires » sous les pavillons vendaient pour le compte des expéditeurs de province en prélevant une commission au passage.
Les mandataires travaillaient aussi pour le compte des forts qui déchargeaient les quartiers de bœufs.
Le veau représente plus de 40% des ventes suivie par le bœuf , le mouton et le porc.
La moitié du sous-sol est occupé en 1900 par une usine électrique de presque 1000 chevaux.Rue de la Ferronnerie 1968
Les négociants et les commissionnaires avaient leurs boutiques dans le périmètre des halles,mais en dehors des pavillons. Ils profitaient simplement de la proximité du marché.
Rue de la Ferronnerie 1972
On se rendit compte alors qu'un quartier entier de Paris, dépendant quasi exclusivementde l'activité des Halles, était en train de mourir.
Rien ne le sauva.
Les halles de Baltard finirent par être détruites, et un immense trou occupa les conversationspendant des années.
Le quartier commença à revivre avec l'ouverture du Forum des Halles, mais l'activité ne futjamais aussi vivante qu'avant, puisque le Peuple des Halles avait disparu.
Vente au détail des fruits et primeurs, pavillon n°7
La vente des fruits, légumes et primeurs était répartie sur au moins trois pavillons.
Les pavillons n°6 et n°8 concernaient la vente en gros et demi-gros, le pavillon n°7 abritait la vente au détail desfruits et légumes et des fleurs coupées.
La plupart des ventes se faisait à l’amiable, mais les beaux lots, les arrivages exceptionnels et les cressonset champignons se vendaient à la criée.
Dans le pavillon n°6 étaient vendus « les fruits et légumes de qualité ». Par exemple, les ananas,les truffes, les raisins, les abricots, les prunes, les fraises et les asperges.
Le pavillon n°8 concentrait la vente au détail des « gros légumes »Le Carreau des Halles
La superficie des pavillons restait insuffisante. Aussi, perpétuant un mode de fonctionnement en cours depuis le Moyen Âge, la vente officielle s’installait sur les trottoirs des rues alentour et sur les voies couvertes des pavillons avec un marquage au sol précis et réglementé : c’était le carreau des Halles, ouvert tous les jours de 3h à 8h (horaires d’été).
Des emplacements y étaient notifiés et des taxes perçues par les agents de la préfecture de la Seine. La superficie du carreau variait suivant les saisons ; il était plus étendu au printemps et en été.
Le carreau était décrit comme « l’annexe de la vente en gros des fruits et légumes et des produits du jardinage ». Il comprenait toutes les ventes en plein air des jardiniers-maraîchers, cultivateurs des environs de Paris ainsi que celles des horticulteurs-fleuristes.
S’y ajoutaient les approvisionneurs apportant des marchandises dont ils étaient propriétaires (fleurs, fruits et légumes du midi et du centre de la France).Merci de votre passage à demain .....
12 commentaires -
Par berenice.la.ballade le 12 Janvier 2021 à 10:04
La suite de la vie et du peuple des Halles , qui continue demain ....
Merci de votre passage amical
Une maraîchère endormie aux Halles, vers 1930-1932 - Photo Brassaï
Les charretiers arrivaient avec leurs chevaux « le cheval arrivait alors que le gars dormait ».
Cette scène bien connue évoque Le Ventre de Paris de Zola. « [...] Et les chevaux allaient tout seuls,la tête basse, de leur allure continue et paresseuse, que la montée ralentissait encore ».
Ils ont été au fur et à mesure remplacés par les routiers.M. Lesur, fort des Halles, 1938
Au début du XXe siècle, leur tenue de travail particulière permettait de les identifier d’un coup d’œil :une blouse en grosse toile, un chapeau à larges bords retombant à l’arrière sur les épaules et plombé
pour supporter le poids des charges (le « coltin » ), et surtout la médaille aux armes de la ville de Paris.
Les chefs se reconnaissaient à la médaille en argent, tandis que les simples forts portaient une médaille en cuivre.
Recrutement des Forts des Halles 1948
Les forts représentaient l’élite du marché. Pour devenir fort, il fallait passer un concours, après en avoirfait la demande à « Monsieur le Préfet de police ». Il fallait alors porter deux cents kilos sur une distance
60 mètres, passer les épreuves de dictée (avec une note éliminatoire) et d’arithmétique, être de nationalité
française, mesurer au minimum 1,67m, et avoir un casier judiciaire vierge.
On comptait sept cents forts dans les Halles de Paris avant leur déménagement en 1969.
Les Halles de Paris comptaient 10 pavillons principaux, dits Pavillons Baltard, du nom de leur architecte.Ils ont été construits de 1854 à 1874. Deux pavillons supplémentaires, les n°1 et 2 l'ont été par la suite,
en 1936, autour de la Bourse du Commerce.
Chacun des 10 pavillons avait alors sa spécificité : le n°3, la viande ; le n°9, le poisson...
Le Carreau proposait fruits et légumes et s’organisait dans les allées couvertes et sur les voies publiques alentour.
Le Président René Coty et Madame Germaine Coty, le 1er mai 1954
Il était assermenté et pouvait verbaliser.
La profession était reconnue, et les forts des Halles étaient reçus tous les 1er Mai par le Présidentde la République, à qui ils remettaient le traditionnel muguet.
Photo Thomas Mc Avoy 1957
Les marchandes au petit tas faisaient partie des figures des Halles. Leurs emplacements se situaientautour des pavillons n°7 et n°8. Elles vendaient essentiellement des légumes de seconde main comme
des oignons, choux, poireaux, pommes de terre, mais aucun fruit ou autre denrée. Elles ne pouvaient
pas vendre au poids où à la mesure, uniquement à la botte, donc « au petit tas » par rapport aux quantités
négociées sous les pavillons et sur le carreau.
Elles s’installaient après le départ des approvisionneurs et cultivateurs, une fois le balayage fait, et ellesévacuaient leur place à la nuit tombée. Elles étaient aussi abonnées, et possédaient des numéros de place.
Près des Halles 1957 - Photo Peter Miller
En outre, le voisinage des quartiers de la prostitution avec la rue Saint-Denis, la rue Quincampoix,était considéré comme un avantage : « il y avait tout ce qu’il fallait!».
Tous, hommes et femmes, signalaient le plaisir d’être aux Halles, la joie d’arpenter les rues,
d’« être de la rue, l’« ambiance » liée à tous les plaisirs : manger, boire, « rigoler », qu’ils disaient
ne pas retrouver dans un autre environnement.
La rue Montorgueil, vers 1960
Le décret de transfert des Halles à la Villette et à Rungis a été signé le 24 décembre 1965.
Dès 1965, les principales mesures ont été prises prises, mais les habitants et les marchands des Hallesont eu peine à croire à la réalité du déménagement.
Les commerçants auraient dû quitter les Halles pour Rungis en novembre 1968, mais ils ont résisté àla décision jusqu’au 28 février 1969, que l’on a appelé « la dernière nuit des Halles ».
Une approvisionneuse
Les Halles étaient remplies de métiers spécialisés et de petits métiers dont les termes doivent êtreexpliqués et traduits : « approvisionneuse, gardeuse, tasseur, fort, renfort, porteur, commissionnaire,
mandataire ». Tous concourent à l’organisation générale. Chaque métier a son histoire, ses pratiques et ses gestes.
La gardeuse, par exemple, était chargée de surveiller la marchandise de l’acheteur jusqu’à ce qu’il viennela récupérer, une fois sa tournée des Halles terminée. La doyenne des gardeuses en organisait l’activité.
L’approvisionneuse vendait des produits achetés aux maraîchers, qui les livraient aux Halles dans la nuit.
Rue Pierre Lescot
Le tasseur montait des tas de légumes (en bottes et en vrac), ou des sacs tout faits de marchandises.Parfois, il était englouti sous ses navets ou ses chou-fleurs.
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Par berenice.la.ballade le 11 Janvier 2021 à 08:21
Aujourd hui je vous conte les halles de Paris
Le PEUPLE des HALLES
L'Arpajonnais
Une compagnie avait été formée en 1891 pour l’exploitation d’un chemin de fer sur route destiné à amener directement aux Halles les denrées maraîchères de la région sud de Paris : c’était l’Arpajonnais. La ligne a été ouverte jusqu’aux Halles centrales en 1894 et a fonctionné jusqu’en 1937. Ces trains circulaient dans Paris uniquement entre 1h et 4h du matin.
La halle aux poissons 1897 -
Après les arrivages de la marée, lorsque les forts avaient livré les paniers à chaque destinataire, les verseurs, personnel assermenté, étalaient le poisson sur les bancs de vente dans de larges paniers plats (mannes) tandis que les poissons d’eau douce (carpes, brochets, goujons et truites) étaient mis vivants dans des bassins en pierre alimentés en eau courante.
C’était le monde de la débrouille et des ruses : on montrait le dessus et le dessous de la marchandise, on vendait une raie en faisant croire qu’il s’agissait d’un turbot ; on annonçait une tempête pour faire monter les cours.
Un porteur de glace aux Halles -
Il ne fallait pas confondre les forts avec les porteurs, ou portefaix, chargé des corvées, et reconnaissables à leur blouse et leur casquette.
Employés à la tâche, les porteurs avaient un statut inférieur à celui des forts, et s’occupaient des besognes subalternes sur le carreau, pendant la vente au détail.
Le recrutement était moins prestigieux que celui des forts puisqu’il n’y avait pas de concours : il suffisait de fournir un certificat de domicile délivré par le commissariat de police, et signé par deux témoins.
Le Carreau des Halles
La superficie des pavillons restait insuffisante. Aussi, perpétuant un mode de fonctionnement en cours depuis le Moyen Âge, la vente officielle s’installait sur les trottoirs des rues alentour et sur les voies couvertes des pavillons avec un marquage au sol précis et réglementé : c’était le carreau des Halles, ouvert tous les jours de 3h à 8h (horaires d’été).
Des emplacements y étaient notifiés et des taxes perçues par les agents de la préfecture de la Seine. La superficie du carreau variait suivant les saisons ; il était plus étendu au printemps et en été.
Le carreau était décrit comme « l’annexe de la vente en gros des fruits et légumes et des produits du jardinage ». Il comprenait toutes les ventes en plein air des jardiniers-maraîchers, cultivateurs des environs de Paris ainsi que celles des horticulteurs-fleuristes.
S’y ajoutaient les approvisionneurs apportant des marchandises dont ils étaient propriétaires (fleurs, fruits et légumes du midi et du centre de la France).
Vente à la criée du beurre
Le règlement portait surtout sur la vente des beurres en provenance de l’ouest (Isigny, Gournay, Bretagne, Charentes…). Avant d’être vendus, ils étaient transportés dans la cave pour y être rafraîchis et pétris à nouveau. Cette opération, la mariotte, pouvait parfois être l’occasion de manipulations, comme l’ajout de margarine. La vente des beurres se faisait principalement à la criée, en une heure environ. Les paniers de beurre circulaient sur le banc de vente où ils étaient goûtés à l’aide d’une sonde.
La réglementation stricte concernant le port de la médaille ovale ou carrée en fonction des années, permettait en fait à la préfecture de police d’avoir un œil au moins une fois par an sur ces porteurs, de suivre les changements de domiciles et d’éliminer les agents les moins bons. Le carnet d’identité permettait aussi d’éviter autant que possible les usurpations d’identité et la « sous-location » de la fonction. Dans les années 1890, ils étaient environ 12 000 dans tout le périmètre des Halles.
Ils étaient reconnaissables à leur médaille, leur blouse et la hotte, le crochet ou le diable qui leur permet d’accomplir leur travail.Vente au détail des fruits et primeurs, pavillon n°7
La vente des fruits, légumes et primeurs était répartie sur au moins trois pavillons.
Les pavillons n°6 et n°8 concernaient la vente en gros et demi-gros, le pavillon n°7 abritait la vente au détail des fruits et légumes et des fleurs coupées.
La plupart des ventes se faisait à l’amiable, mais les beaux lots, les arrivages exceptionnels et les cressons et champignons se vendaient à la criée.
Dans le pavillon n°6 étaient vendus « les fruits et légumes de qualité ». Par exemple, les ananas, les truffes, les raisins, les abricots, les prunes, les fraises et les asperges.
Le pavillon n°8 concentrait la vente au détail des « gros légumes »
Les compteurs-mireurs
Les resserres des pavillons n°10 et n°12 accueillaient les compteurs-mireurs d’œufs qui devaient vérifier le contenu des paniers et la qualité des œufs. C’était des employés assermentés nommés par la préfecture de police.
Ils inspectaient tous les œufs d’une manne en les plaçant devant une bougie (mirer les œufs) pour reconnaître s’ils étaient clairs et en parfait état. Dans le même mouvement, ils les comptaient et se servaient de bagues pour déterminer le calibre.
Les œufs pourris étaient détruits, ceux qui étaient impropres à la consommation, parce que tâchés, servaient au vernissage des pains et de la pâtisserie ou à la dorure sur bois.
Les compteurs-mireurs étaient aussi appelés à compter les fromages ainsi qu’à vérifier et à compter les beurres en demi-kilogramme.Fin de 1ère partie, la suite demain, Bonne journée Merci de votre présence
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Par berenice.la.ballade le 10 Janvier 2021 à 17:13
Nées au XVIIIe siècle dans les banlieues de Paris, les guinguettes essaimèrent par la suite partout en France. Cabarets, restaurants et parfois lieux de bal, elles connurent un immense succès populaire.
Avant 1860, Paris était moins étendu qu'aujourd'hui : la capitale s'arrêtait au mur des Fermiers généraux, dont le tracé se retrouve en partie le long des actuelles lignes 2 et 6 du métro. Au-delà de ces frontières (marquées par des barrières), l'octroi, une taxe sur les marchandises en vigueur à l'époque, n'était plus perçue.
C'est pour cette raison que se développèrent dès le XVIIIe siècle, en banlieue proche, des lieux de fête bucoliques qu'on appelait les guinguettes, dont les propriétaires n'avaient pas à payer de taxe sur l'importation de vin.
Les plus fameuses se situaient sur les barrières de la ville, à Montparnasse et à la Courtille principalement, mais aussi dans les villages de Belleville, de Ménilmontant, à Suresnes, à Robinson ou encore à Nogent-sur-Marne.
Les jours de repos, surtout en été, les Parisiens venaient pour y manger, y boire et parfois y danser. Parmi ces lieux de détente, souvent situés sous les arbres ou en bordure de l'eau, de véritables institutions émergèrent, en même temps qu'une certaine concurrence entre elles.
On trouve par exemple en 1816 dans La Gazette de France une publicité agressive pour un établissement de la Villette (actuel 19e arrondissement) appelé La Mère radis, que l'article n'hésite pas à qualifier de « nouvelle Providence des ivrognes » :
« Il n'est bruit, depuis la Courtille jusqu’aux Porcherons, que de la Mère Radis ; sa gloire est fixée, sa vogue établie et sa fortune en bon train. Tous les dimanches, trois mille personnes vont se réjouir à sa guinguette ; elle a éclipsé Desnoyers, et bientôt on ne parlera plus de Ramponeau.
Son vin et ses gibelottes font fureur parmi le peuple. Un artisan ne peut pas décemment se griser autre part que chez la Mère Radis ; la vue seule de sa cuisine et de sa cave est déjà un spectacle : vingt-huit feuillettes de vin suffisent à peine chaque jour à désaltérer ses habitués ; des clapiers entiers viennent s’ensevelir dans ses vastes casseroles ; des veaux, dans toute leur dimension, rôtissent sur ses immenses broches ; quatre carrés de laitues suffisent à peine à remplir la vaste cuve qui lui sert de saladier : en approchant de ses fourneaux, ou croirait voir la cuisine de Gargantua.
La riche imagination de Cervantès peut à peine donner l’idée de la guinguette de la Mère Radis, et le vorace Sancho-Pança eût déserté les noces de Gamache et la fameuse marmite dont l’écume était si substantielle, pour venir se régaler à la Villette chez cette nouvelle Providence des ivrognes. »
En 1829, Le Journal des débats donne un aperçu de l'ambiance chaleureuse d'un autre établissement de renom, le Jardin de la Chaumière, célèbre pour son bal, et situé sur la barrière de Montparnasse :
« Quand vous approchez, vous entendez d'abord le bruit des instruments, plus près les voix des musiciens qui annoncent les figures, plus près encore des rires et des chuchotements. Vous entrez : jeunes gens, jeunes filles, violons, arbres, quinquets, tout danse ou semble danser dans ce jardin, tant il y a de mouvement dans cette musique, de gaîté dans ces danseurs, de frémissement dans ces feuillages, de reflet dans ces lumières cachées sous la verdure.
Vous écoutez çà et là : on parle de femmes, de thèses, de modes, de politique. Ici, des déclarations et des aveux d'amour ; là, les philippiques qu'on ferait si on était à la tribune ; parfois aussi, quelques mots de droit [...] ; et tout cela, amour ou politique, animé de je ne sais quel esprit de jeunesse qui donne une sorte de grâce à toute cette confusion […]. »
Bien sûr, l'afflux de fêtards et l'abondance d'alcool n'est pas sans provoquer de temps à autre quelques débordements. Dès 1815, une ordonnance est prise par le préfet de police de Paris en vue de limiter l'ouverture de ces lieux que les autorités voient parfois d'un mauvais œil :
« Considérant que l’ouverture des guinguettes, cabarets, cafés et autres lieux semblables, établis hors des barrières, se prolonge fort avant dans la nuit, et qu’il en résulte fréquemment des désordres qu’il est important de prévenir et d’éviter […] :
Art. 1er. À compter du jour de la publication de la présente ordonnance, les guinguettes, cabarets, cafés, estaminets, billards et entres lieux de réunion ouverts au public, hors des barrières de Paris, seront fermés à dix heures précises du soir. »
Lieux populaires, les guinguettes accueillent essentiellement une population d'ouvriers, d'artisans, de domestiques, de chiffonniers ou d'étudiants. Ce qui n'empêche pas certains membres des classes supérieures d'aller s'y encanailler le temps d'une soirée.
La très mondaine Gazette de France raconte par exemple en 1825 comment Mme de Genlis (1746-1830), dame de haute noblesse, s'était un soir déguisée pour aller faire la fête à la fameuse guinguette du Grand Vainqueur, à Belleville, dans le nord-est de Paris :
« Il faut tout voir à Paris, et Mme de Genlis n'avait pas encore vu la guinguette. Un jour donc, elle forma le projet d’y aller avec Mme de Potocka, sou amie […] Un travestissement était nécessaire ; nos dames se déguisèrent en cuisinières. Mme de Potocka en devint affreuse ; Mme de Genlis n’en fut que plus jolie […].
Il ne faut pas s’étonner si, comme elle s’en vante, elle eut les plus grands succès au Grand-Vainqueur, et si, en arrivant, elle fit la conquête du coureur de M. le marquis de Brancas, et eut l’honneur de danser un menuet avec lui. »
Les guinguettes avaient leurs grandes figures de fêtards impénitents et de princes de l'ivrognerie. Au XVIIIe siècle, parmi les plus célèbres, Jean Ramponeau, le « roi des cabaretiers », qui possédait deux guinguettes : l'une à la Courtille, haut lieu de la fête à Belleville (on y organisait lors du carnaval la célèbre « descente de la Courtille »), l'autre dans le village des Porcherons, sur la barrière Blanche.
Le Journal des coiffeurs rend hommage en 1868 à ces établissements mythiques et à leur truculent propriétaire :
« Un monde de buveurs s'y donnait rendez-vous pour y mener joyeuse vie, inter pocula, sans soucis de l'avenir et sans regrets du passé. Il importait peu que le vin fût exquis. La gaieté des convives remplaçait avantageusement la supériorité des liquides […].
Jean Ramponeau se tenait prêt à boire, à faire tête à toute sa clientèle, à vaincre les buveurs les plus intrépides. Oh ! le rude joûteur ! Nul ne pouvait résister à ses saillies, ni jeter une ombre sur son humeur joviale. Ramponeau possédait le génie de l'ivresse du peuple, de la bonne, selon Beaumarchais.
L'égalité parfaite existait dans ce cabaret, où les grands seigneurs coudoyaient les aigrefins, où quelques jolies marchandes s'introduisaient, au bras de fringants militaires. »
L'article signale par ailleurs que Ramponeau (dont une rue du quartier de Belleville porte encore le nom) est à l'origine de l'expression « ramponer », qui signifie « boire outre mesure ».
En 1859, l'octroi fut reporté au-delà des limites de Paris, entraînant le déclin de ces établissements, qui durent acquitter les taxes d'entrée des marchandises dans Paris. Ce ne fut pas la fin des guinguettes – dont le modèle s'était entre-temps répandu dans toute la France –, mais la fin de leur âge d'or.
En 1897, c'est déjà sur le mode de la nostalgie qu'un journal comme Paris évoque « l'ancien éden » de la Courtille. Et de citer les noms des guinguettes désormais disparues : le Pistolet, L’Île d'amour, le Galant Jardinier, les Noces de Cana...
« En reculant les limites de l’octroi, Paris a absorbé quantité de coquets villages où nos pères venaient volontiers rire et s’amuser. De fraîches et riantes tonnelles leur offraient un ombrage tutélaire sous lequel on dégustait un petit vin clairet qui faisait chanter les plus moroses.
Mais la grande cité avait besoin de place, le monstre était à l’étroit dans son lit ; les jolis villages devinrent de populeuses barrières où le bourgeois n’osa plus s’aventurer, avant de disparaître tout à fait. Et des maisons à six étages avec soixante cheminées et des devantures d’apothicaires prirent peu à peu la place des guinguettes.
C’est ainsi que disparut la fameuse Courtille, dont le poète Grandval disait, en 1721 :
“Dans le nombre infini de ces réduits charmants,
Lieux où finit la ville et commencent les champs,
Il est une guinguette au bord d’une onde pure,
Où l’art a joint ses soins à ceux de la nature.
Là, tous les environs, embellis d’arbres verts,
Offrent contre le chaud mille berceaux couverts.” »
À la fin du XIXe siècle, des peintres comme Van Gogh ou Auguste Renoir immortaliseront la fameuse « ambiance guinguette » en bordure d'eau. À noter qu'aujourd'hui, des guinguettes existent encore à Paris et ailleurs.
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Pour en savoir plus :
François Gasnault, Guinguettes et lorettes, bals publics à paris au XIXe siècle, Éditions Aubier, 1992
Kali Argyriadis et Sara Le Menestrel, Vivre la guinguette, PUF, Sociologie d'aujourd'hui, 2003
Sophie Orivel, Francis Bauby, Martin Penet, Mémoires de guinguettes, Éditions Omnibus, 2005
https://www.retronews.fr/societe/echo-de-presse/2018/12/03/le-temps-des-guinguettes?fbclid=IwAR0h-zhH58aqZE60djbRW-UTT45uhv-vWQWKk2NPmWLu1Q76-IqTS9ifKgc
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